L’autopsie médico-légale est-elle toujours décisive ?

Au professionnalisme des premiers intervenants et des techniciens de la scène de crime doit nécessairement succéder l’autopsie. Elle reste majeure dans l’enquête et la gestion du futur dossier pénal, sinon comment différencier la mort naturelle, la mort suspecte et la mort violente ?


L’autopsie médico-légale approfondie est essentielle

C’est bien évidemment le devoir le plus important dans l’évaluation et la mise en évidence des signes de violence subie, d’éléments orientant vers le bon diagnostic différentiel du décès (mort violente avec ou non intervention de tiers ; mort naturelle).

L’autopsie médico-légale doit être pratiquée par deux médecins spécialistes en médecine légale, voire au minimum par deux médecins dont l’un est obligatoirement spécialiste en médecine légale et l’autre en formation de cette discipline.
Cette autopsie ne peut être routinière. Elle doit être obligatoirement complète, ne pouvant négliger la moindre région, le moindre organe (Beauthier et al., 2022). C’est ainsi qu’une minime ecchymose récente au niveau des os et cartilages du larynx peut nous orienter vers une manœuvre strangulatoire. Des signes de défense, notamment au niveau des doigts et des avant-bras peuvent nous mettre sur la piste d’une lutte, etc.

Si les techniques d’imagerie médicale sont de plus en plus parfaites, elles ne remplacent pas l’autopsie. En effet, c’est la vision complète non seulement de la scène de crime, mais également du corps sur place, avec la description des signes, traces et lésions visibles à l’examen externe (l’examen sur place étant complété en salle, avec un éclairage idoine), et la poursuite par l’examen interne et surtout complet, car l’on ne peut négliger le moindre détail.

Face à des situations très complexes, le médecin légiste doit dans certains cas, obtenir un maximum d’informations sur la victime (antécédents médico-chirurgicaux, étude du dossier médical).

Citons également la nécessaire collaboration du dentiste traitant, avec communication de documents radiographiques, permettant – avec la collaboration de nos amis odontologues médico-légaux – d’identifier formellement des corps très dégradés, où nous perdons certaines caractéristiques (comme les tatouages) et difficiles à faire reconnaître par les proches. Ces méthodes très fiables d’identification ne nous empêchent bien sûr pas d’orienter les recherches en matière d’identification par l’ADN.

De plus, il nous est déjà arrivé d’avoir besoin de données très particulières, peu aisées à recueillir sur place, comme par exemple les conditions atmosphériques au moment du décès (pluie, neige, etc.).

Bref, l’enquête judiciaire se complète par une véritable enquête médico-légale, dans le but d’aider la justice au sens large.

Techniques particulières indispensables

L’anatomie pathologique microscopique (examen histopathologique) est indissociable de l’autopsie macroscopique dans la plupart des cas (Delteil et al., 2022).

Il faut noter cependant qu’un aspect essentiel reste bien sûr la pratique rapide de l’autopsie après le décès. En effet, l’utilisation de techniques de marquage immuno-histochimique ne peut être valable que sur des tissus prélevés au cours d’une autopsie précoce. Une autopsie pratiquée tardivement (et a fortiori l’autopsie d’un corps après exhumation) fait perdre au médecin légiste de nombreux éléments et repères fondamentaux lui permettant d’aboutir au diagnostic, à moins de lésions flagrantes bien sûr.
De la même manière, les tissus ainsi altérés rendent caduque voire impossible l’analyse histopathologique. Les exemples foisonnent. Il en est ainsi de l’appréciation difficile d’altérations du tissu cardionecteur (voies de conduction de l’influx) ou du tissu myocardique en général dans les cas de mort subite et inopinée (Ewalenko et Beauthier, 2022). Il en sera de même des altérations rapides de l’encéphale après la mort, ou de la dégradation de l’architecture pulmonaire par la putréfaction.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons que souhaiter une autopsie rapidement réalisée après la mort, afin d’éviter tous ces écueils et ces artéfacts limitant l’aboutissement au diagnostic précis, indispensable à la bonne évolution du dossier judiciaire (Beauthier, 2009).

La toxicologie médico-légale est tout aussi indispensable, d’autant plus qu’il ne se passe pas un jour sans que l’on parle dans la presse d’une conduite sous influence, d’un meurtre commis par un auteur imbibé, drogué, etc. En regardant l’effroyable statistique des féminicides, dans ce domaine également, la toxicologie chez l’auteur des faits prend une dimension extrêmement importante, pouvant être totalement ou partiellement génératrice des comportements agressifs et brutaux conduisant au drame irréparable.


La série de 3 articles :
Ces meurtres qui nous échappent !
L’autopsie médico-légale est-elle toujours décisive ?
Comment déjouer les pièges des meurtres dissimulés


Prof. Dr. François BEAUTHIER
Médecin légiste
Maître de conférences à l’ULB
Directeur de l’IML Hainaut Namur

Prof. Dr. Jean-Pol BEAUTHIER
Médecin légiste
Professeur honoraire à l’ULB
Institut Médico-légal Hainaut Namur &
Unité de médecine légale et d’anthropologie médico-légale
Laboratoire d’Anatomie, Biomécanique et Organogenèse (LABO – ULB)


Pour aller plus loin : https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807321458-traite-de-medecine-legale

Références :

Beauthier J-P, Beauthier F, et Lefèvre P (2013) Homicides ignorés. Rev Med Brux 34:47-54. 

Crispino F, Muehlethaler C, Esperança P, Baechler S, et Ferry B (2022) La scène de crime. In JP Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique. 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 1017-1034.

Daoust B, Crispino F, et Beaudoin A (2022) Les traces digitales et autres traces d’impression humaine. In JP Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique. 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 1035-1043.

Delteil C, Piercecchi Marti M-D, Michaud K, Beauthier F, et Beauthier J-P (2022) Anatomie pathologique: quelques aspects médico-légaux utiles. In JP Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique. 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 863-908.