Décider dans l’incertitude : l’expérience des médecins tactiques du RAID
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Décider dans l’incertitude : l’expérience des médecins tactiques du RAID

Être un décideur dans l’imprévisible, l’incertitude voire l’inconnu ne s’improvise pas mais exige énormément de rigueur et d’efforts : quel est le profil et la formation d’un médecin tactique du RAID ?



La prise de décision est un rôle majeur du médecin tactique du RAID (Recherche Assistance Intervention Dissuasion) de la police nationale française. C’est un expert de la prise en charge des urgences, capable de réaliser des médicalisations et de sauver des vies en situations extrêmes, en s’adaptant aux contraintes externes, et sans perturber la mission de police en cours. Il est un leader avec une légitimité naturelle.


Cela ne s’improvise pas mais appelle une sélection, une formation et un entraînement spécifiques.




Recrutement et sélection du médecin tactique RAID


Son profil est exigeant. Il doit permettre au médecin tactique de décider avec le même sang-froid et la même pertinence, quelles que soient les conditions de travail, les situations complexes et dégradées dites « hors cadre » dans lesquelles il intervient. Il lui faut donc avoir acquis une solide expérience médicale de situations réellement critiques allant d’accidents « catastrophes » au bloc opératoire ou encore à la réanimation.


Pour décider dans l’imprévu chaotique, un candidat médecin tactique doit avoir à la fois une grande confiance dans ses repères techniques, médicaux, tactiques et humains. Il devra bien connaître ses limites et accepter ses émotions.


Sa sélection testera sa capacité à

  • Décider et s’adapter dans une situation de stress majeur et dans un environnement hostile ayant un haut niveau d’exigence physique et mentale

  • Rester un bon professionnel de l’urgence vitale dans un contexte à hauts risques (gestes techniques, triage, prises de décisions)

  • Gérer l’imprévisible voire l’inconnu tout en gardant sa capacité d’analyse et de décision ainsi que son équilibre psychologique

  • Maintenir une condition physique au niveau opérationnel des autres membres du RAID

  • S’intégrer dans le groupe, tout en apprenant à rester à sa place.

 



Entraînements individuels et collectifs permanents


La doctrine médicale du RAID a pour objectif d’assurer le soutien médical de tous les blessés de l’assaut du groupe d’intervention ainsi que l’organisation du sauvetage et de l’extraction des victimes hors de la menace.


Les entraînements tactiques du RAID se veulent donc des plus réalistes possibles. Leur but majeur est de travailler une cohésion totale du groupe, une intégration parfaite du médical et du policier dans des situations d’incertitude systématique, en fournissant à chacun les meilleures conditions de sécurité.


Un autre but est également de stimuler une réponse d’un collectif « fort » au travers de leaders de terrain soutenus par leur équipe qui les pousse à suivre leur instinct. Face à une menace qui évolue très vite, le groupe d’intervention doit s’adapter en permanence. Cela exige beaucoup d’autonomie décisionnelle et non qu'un seul chef impose ses directives. Des années d’entraînement et de vie en groupe, de retours d’expérience y contribuent.


Le médecin tactique est intégré dans les groupes d’assaut avec mission de fournir une assistance immédiate aux policiers engagés et aux autres personnes impliquées.
Il est également intégré dans la réponse à la menace. Selon la situation, il peut être un leader. Sa mission de secours se déroule en même temps que la mission d’intervention de police, sans toutefois la perturber.


Les nombreux exercices avec les services d’incendie et de secours, obligent par ailleurs, de manière coordonnée dans un « tous ensemble », à prendre des risques, des initiatives et enrichir les référentiels communs.

 

Le médecin tactique du RAID après sa sélection et l’apprentissage des principes spécifiques au RAID, devra conserver une activité médicale régulière, pour continuer à réaliser des gestes techniques, à communiquer avec des blessés ou avec des personnes anxieuses, en souffrance.




La tuerie du Bataclan : exemple d’adaptabilité


Le RAID a décidé d’extraire l’intégralité des blessés et des personnes vivantes du rez-de-chaussée (fosse, scène, etc…) avant la neutralisation définitive de la menace terroriste.

Dans ce contexte de tuerie de masse, où plusieurs phénomènes se télescopent et s’additionnent de façon exceptionnelle et intense, les médecins du Raid deviennent des médecins « de pénétration » en zone de combat, protégé par des policiers et équipés de protections balistiques lourdes (casque, gilet pare-balle).


Face au nombre de victimes, à la gravité des lésions, à l’intensité et la persistance de la menace, face à l’impossibilité de faire du cas par cas et de poser plus que les premiers gestes de sauvetage vital, les médecins du RAID sont rapidement confrontés au triage « lourd » entre morts et vivants.


Leur objectif est d’extraire une centaine de blessés par arme de guerre, pour les amener vers les structures médicales adaptées et sécurisées.

Pour y parvenir, les médecins du RAID doivent également guider les premiers intervenants moins aguerris pour qu’ils ne perdent pas de temps, parfois en leur demandant des choses contre nature.

La simplicité des directives revêt alors toute son importance pour qu’elles soient comprises et acceptées.


Psychologiquement, les médecins du RAID sont également très vite tenus de concilier détermination, empathie et confiance à insuffler aux victimes pour qu’elles comprennent en deux secondes qu’elles n’ont pas le choix et que malgré la douleur, elles doivent contribuer à leur extraction hors de ce contexte de « guerre ».


Une fois l’évacuation de l’ensemble des blessés effectuée, les médecins du RAID rejoignent encore leur groupe d’intervention pour l’assaut au premier étage du Bataclan où s’étaient réfugiés deux terroristes avec leurs otages.




Le retour d’expérience (RETEX)


L’efficacité de la doctrine médicale du RAID évolue grâce à des analyses les plus factuelles possibles, post-intervention, notamment par le partage des RETEX entre forces de sécurité intérieure, services d’incendie et de secours. Ces RETEX peuvent parfois être durs et demandent de l’humilité et de devoir peut-être accepter ses erreurs ou ses échecs.


Dans cette phase, le médecin tactique va également :

  • Chercher à comprendre la gravité évolutive des blessures des victimes, en partageant avec les médecins et chirurgiens hospitaliers.
  • Exprimer clairement ses émotions dans la décision médicale en parallèle aux données scientifiques. Il partagera également ses ressentis avec son équipe soignante.



Les RETEX ont le pouvoir d’élargir les référentiels de chacun, et d’engendrer plus de confiance et de sérénité lors de la prochaine crise




Thierry DEROUA

Commissaire divisionnaire e.r.

Licencié en Criminologie



Source : https://inhesj.fr/publications/lirec/la-prise-de-decision-dans-lincertitude

LIREC n°58 – Dossier thématique « La prise de décision dans l’incertitude » – Article « Expérience des médecins tactiques du RAID » – Mathieu Langlois ; page 13 à 17