Tragique accident en séjour scolaire : quels enseignements ?
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Tragique accident en séjour scolaire : quels enseignements ?

La crise hors norme liée à la catastrophe de l’autocar belge en Suisse en 2012 délivre certains enseignements pratiques sur les plans de la gestion de crise et de l’accompagnement psychologique. Quels sont-ils ?

28 morts dont 22 enfants, il y a juste 10 ans maintenant : c’est le tragique bilan de la catastrophe d’autocar belge dans un tunnel suisse, le 13 mars 2012 vers 21h15, au retour d’un séjour scolaire de ski.

La confusion règne. Alors que les enfants de l'école St Lambertus à Heverlee, assis à l’arrière de l’autocar, ont pu contacter leurs parents qui sont partis vers la Suisse en début de nuit, il en va tout autrement pour les parents des élèves de l’école communale primaire ‘t Stekske à Lommel Kolonie, avertis tardivement, vers 06 heures alors que les premières images apparaissent déjà sur les sites de la presse écrite.

Une fois l’information communiquée par les autorités suisses, la gestion de crise s’emballe rapidement, de manière chaotique, au siège de l’établissement  : recherche d’informations officielles auprès des autorités helvètes et belges, communication avec les parents des enfants concernés, leur accueil et prise en charge alors qu’ils sont dans une attente insupportable, diffusion d’informations permettant l’identification des enfants, coordination des différents services psychosociaux arrivant à l’école, organisation d’un centre de crise au siège de l’école, …

Les dimensions de cette crise sont multiples.
Erik de Soir, psychologue et sapeur-pompier volontaire, appelé par la directrice de l’école, est un des premiers arrivés à l’Ecole de Lommel Kolonie. Il se coordonne avec le bourgmestre, le commandant de la zone des pompiers du Limbourg-Nord et le chef de zone de la police pour décider des étapes urgentes à mettre en place pour gérer cette tragédie. Rapidement, le Plan d’Intervention Psycho-Social sous la coordination des services du SPF Santé est déclenché.

Erik de Soir nous délivre des recommandations et enseignements tirés de la phase de cheminement post-traumatique immédiate de cette gestion.


Au niveau de l’école


Par voyage scolaire en autocar, disposer de …

D’une liste détaillée, avec au minimum, un exemplaire dans l’autocar et un autre à l’école :

  • Avec les noms et les photos des enfants, leurs adresses et les contacts en cas d’urgence.
  • Dans un format permettant aux personnes requises, de l’envoyer par e-mail et/ou via téléphone portable, aux services de police et de secours.

 

Préparation de la gestion de crise collective / situations d’urgence imminente

  • Prévoir une équipe de gestion de crise au sein de l'école afin de pouvoir mobiliser rapidement les ressources nécessaires.

  • Désigner un porte-parole formé à la communication en situation de crise afin de pouvoir gérer la presse dès les premiers instants.
  • Disposer d’un plan de contingence ou de catastrophe contenant des fiches réflexes dans lesquelles sont détaillés les différents rôles des membres de l'équipe de gestion de crise de l’école. Ils pourront de la sorte se référer rapidement à un scénario d'intervention préparé à l'avance, adapté à différentes formes de crises, selon une analyse de risque effectuée au préalable. Ce scénario devra inclure un "briefing du matin" quotidien pour assurer le suivi de la crise.
  • Disposer de procédures d’alerte afin d’assurer la liaison avec d’autres services régionaux et nationaux.
    Les membres de l'équipe de crise, au niveau de l'école ou au niveau du groupement auquel l'école appartient, doivent connaître les acteurs de ces différents services : le manager psychosocial de la province (responsable de la coordination de l'aide psychosociale lors de catastrophes), les intervenants régionaux des centres d'encadrement des élèves, le fonctionnaire de prévention/de gestion de catastrophes de la commune, etc.
  • S’organiser comme le plus grand centre de communication et de liaison de la crise. Les locaux de l’école doivent rester ouverts. L’école, premier endroit de rencontre naturel, doit être considérée pour les parents impliqués, comme un centre d’information permanent mais aussi de soutien social leur permettant de se retrouver à l’abri du monde extérieur.
    L’école doit envisager le renfort d’un personnel supplémentaire pour traiter les flux d’énormes quantités d’informations. Elle doit également disposer de la logistique nécessaire pour gérer la crise.
  • Assurer, dans les premières heures de la crise, la continuité des activités normales de l’école : regrouper les enfants, assister les enseignants afin de maintenir une activité adaptée, fournir un soutien pratique aux parents les plus impliqués
    L’école doit ici aussi envisager le renfort d’un personnel supplémentaire.
  • Mise en place d’un dispositif d’aide et d’accompagnement direct via des experts externes, psycho-traumatologues et experts du deuil, pour superviser les institutrices dans la prise en charge immédiate des enfants.
  • Gérer les médias. Ceux-ci doivent être maintenus à une distance suffisamment éloignée de l’école et le contact direct entre les élèves et la presse, minimisé.
  • Se préparer à des moments de deuil collectif et prévoir des rituels à l’avance.
  • Désigner une personne de contact pour tous les services externes qui proposeront une aide ainsi qu’un responsable pour gérer les réseaux sociaux...

  •  

Et après … quelles actions à court terme ?

Après une telle catastrophe, le travail d’accompagnement dans les écoles par des psychologues de l’urgence et des spécialistes en psycho-traumatologie est plus que nécessaire. Quelques repères :

  • Accompagner les enfants des écoles impliquées qui veulent comprendre l’accident et manifestent des réactions de stress post-traumatique.
  • Maintenir ou restaurer la routine scolaire normale qui est génératrice de force pour faire face collectivement à la crise.
  • Affichage des photos des enfants décédés, accompagnées de petites bougies, dans une classe silencieuse où les élèves peuvent se rendre à tout moment, accompagnés d’un psychologue.
  • Journée de deuil national décrétée pour les funérailles des 22 enfants décédés.


Actions sur le moyen et long terme

Le retour à l’école des enfants ayant survécu à l’accident après deux ou trois mois est un moment de terrible confrontation tant pour eux que pour la communauté scolaire.

Des problèmes complexes multiples devront trouver réponse. En voici quelques-uns :

  • Va-t-on continuer l'année scolaire dans la même classe ?
  • Que faire avec les affaires personnelles (dessins, etc.) des enfants décédés ?
  • Comment gérer les émotions des enfants survivants ?
  • Comment organiser la remise des diplômes ?
  • Comment tenir compte du statut « divorcé » des parents divorcés pour la remise des affaires personnelles et les certificats.
  • Préparer les enfants des autres classes à affronter leurs ami(e)s traumatisé(e)s. 

 

La prise en charge psychosociale des familles impliquées
 

  • Mise en place d’une chaîne de commandement claire pour la coordination et la mise en œuvre adéquate des différents intervenants psychosociaux qui arriveront à l’école sinistrée (services d’aide aux victimes de la police, Croix- Rouge, Services locaux de Santé mentale, …)
  • Accompagnement des familles à l’étranger :
    • Certaines seront confrontées à l’identification judiciaire de leur enfant qui leur imposera le recueil de données ante mortem, l’interaction avec des équipes judiciaires, l’identification à partir d’affaires personnelles, de photos et finalement l’identification physique de leur enfant mort, accompagnées d’un(e) psychologue.
    • D’autres iront directement dans les hôpitaux où leur enfant est soigné.
  • Reprise / remise avec les services locaux de Santé Mentale au retour de l’étranger pour le suivi adapté post-immédiat du soutien sanitaire et psychosocial des parents impliqués.

 

Au niveau des parents et enseignants
 

Durant la phase de cheminement post-traumatique, pendant des semaines, des séances psycho-éducatives pour parents et enseignants, devront être organisées en plus d’une série de débriefings psychologiques et de ventilation des émotions. L’objectif sera de restructurer et réorganiser le tissu social autour des écoles impliquées et d’assurer un accompagnement psychothérapeutique sur mesure.


Erik de SOIR
Docteur en psychologie et Docteur en sciences sociales et militaires
Psychothérapeute, spécialisé dans la gestion des catastrophes, au sein du centre de traitement De Weg Wijzer (www.dewegwijzer.org )

Thierry DEROUA
Commissaire divisionnaire er
Trainer en attitude coachante
Praticien en Relaxothérapie ® - Accompagnement du Stress et du Traumatisme


Pour aller plus loin : 
Catastrophe : Accompagnement psychologique des proches de personnes décédées
La prise en charge d'un intervenant traumatisé est spécifique !
Le débriefing psychologique est-il dangereux ?


Sources :
https://www.crisis-response.com/Articles/600773/Volume_8_Issue.aspx

Opvang van mensen in nood. Psychosociale opvang bij trauma (ISBN nummer 9789464120011) – Erik de Soir
https://www.uh-campusshop.be/mvc/article?id=11989